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Comment lutter contre les déchets plastiques

Si on se rend sur le site d’environnement Canada, on peut lire sous « changements climatiques » que le gouvernement canadien accorde 2 256 554 dollars à 16 projets de recherche scientifique devant approfondir notre compréhension des effets du plastique sur notre environnement naturel et notre santé.[1]

 

 Donc on en sait encore trop peu sur les méfaits des déchets dans l’environnement à l’échelle d’une vie. Mais je n’ai pas attendu qu’on m’explique comment ça peut provoquer des cancers pour trouver qu’il n’était pas respectueux de la nature végétale, animale et humaine de déverser des immondices sur la planète que nous habitons. Je viens d’aller interviewer Lola, Eline et Melyssa. Elles ont moins de 30 ans, elles incarnent la jeunesse, ses rêves et ses revendications. En janvier 2020, elles ont ouvert leur café-épicerie Muscade en face de chez moi. C’est une épicerie « zéro déchet », de produits biologiques et locaux, quand c’est possible (ça va souvent ensemble). C’est aussi une enseigne végane, où tout est pensé pour faire concorder l’offre aux consommateurs et les valeurs progressistes contemporaines dernier cri.

 

 
Crédit photo : Chloe Dubois. Récupération des déchets marins en Colombie-Britannique.

 

Dépendant où on vit, les magasins de vrac peuvent être à bonne distance et décourager de faire du zéro déchet, mais quand on a le luxe de pouvoir le faire de là où on veut habiter, on peut tenir cela pour un critère. Sur la rue Mont-Royal, plusieurs boutiques, librairies, boulangeries, fromageries, poissonneries, boucheries, offrent des produits sans emballage ou acceptent mes sacs et autres contenants à moi. C’est au café végane et zéro déchet Tuyo que Éline a rencontré Melyssa et Lola. Elles ont voulu ouvrir un commerce ensemble, dans l’est du Plateau Mont-Royal, pour justement que l’offre se multiplie. « Quand on a ouvert, en janvier 2020, on était les seules sur l’avenue Mont-Royal. En février, on a vu arriver le Vrac et bocaux, suivit du Loco, près du métro et, tout dernièrement, le Mega Vrac. Vraiment, ici, il n’y a plus l’excuse de la non-accessibilité. En plus, depuis la pandémie, on livre à domicile. Moi, quand j’ai commencé le vrac et que je trouvais parfois que c’était trop loin, j’aurais adoré pouvoir me faire livrer pour aller plus rapidement dans ma démarche du zéro-déchet. D’ailleurs, on pense aussi à l’inclusivité: des personnes autistes, par exemple, peuvent trouver très perturbant de venir faire leurs courses en vrac et de devoir poser beaucoup de questions aux vendeur.se.s, les premières fois. Si elle prépare sa commande en ligne et qu’on lui livre, la personne avec un handicap est incluse dans l’offre du vrac ».

Pour ce qui est du recyclage des emballages et autres déchets, le site d’Environnement-Canada avance que 9% des déchets de plastique sont recyclés au Canada, et le reste s’accumule dans les sites d’enfouissement, les installations de valorisation énergétique des déchets ou la nature. La page Facebook de l’épicerie Muscade avance que c’est 11%. Mais 11% de combien de déchets?

Environnement Canada écrit que les Canadiens jettent 3 millions de tonnes de déchets plastiques par année. J’ai fait un petit calcul et cela représente 80 kilos de plastique par Canadien par an. On ne parle pas encore des déchets de papier, cartons, vitre ou métal. Sur ces 3 millions de tonnes, 29 000 tonnes de plastique se sont introduites dans l’environnement sous forme de pollution rien qu’en 2016 et juste au Canada. Si aucune mesure n’est prise, on calcule que ce volume pourrait atteindre 40 000 tonnes dans l’environnement, d’ici 2030.[2] Pas besoin d’être un expert pour être un acteur de changement. Aucune des trois propriétaires de Muscade n’a eu des parents qui étaient végan ni ne faisaient de zéro-déchet. « On vient toutes les trois de familles progressistes avec des parents qui font des efforts pour l’environnement (...) et puis après c’est venu petit à petit beaucoup d’éducation personnelle à l’âge adulte (...) aussi les enjeux sociaux: comment les humains sont traités, dans le monde, etc. C’est primordial dans notre manière de sourcer nos ingrédients chez Muscade. » Mais aucune des trois n’a étudié en environnement, en développement durable, en nutrition ou en philosophie-éthique.   

Environnement-Canada reconnaît aussi que ces plastiques sont nocifs pour les habitats de la faune sauvage. La faune souffre mortellement de la présence des plastiques dans l’environnement en se coinçant dedans ou en les ingérant, remplissant leur estomac jusqu’à en mourir de faim.

Justement, Éline m’a expliqué que, pour elle, qui a étudié en hôtellerie-restauration, parmi les 3-4 principes de Muscade, celui qui le tien le plus à cœur, c’est le véganisme (ces principes sont: le zéro-déchet, le véganisme, le biolocal pour un faible impact sur l’environnement et l’économie sociale). Elle n’est pas issue d’une famille végétarienne ou végane et a même étudié la gastronomie française, remplie de produits animaux. C’est un effort éthique conscient, qu’elle a fait progressivement, en prenant conscience des choix qu’on peut faire dans une société d’abondance des ressources, comme la nôtre (France et Québec urbains). Cela lui fait affirmer, aujourd’hui, que comme tout le monde est sensibilisé à la souffrance animale et qu’il est scientifiquement prouvé qu’on peut vivre en santé en étant végane à tous les âges de la vie, il n’y a plus d’excuses. Quand les ressources végétales de tous les groupes alimentaires, les livres et les sites Internet de conseils sont accessibles, nous n’avons aucune excuse pour faire souffrir des animaux au nom de nos papilles gustatives. « Si on aime un animal et qu’on le respecte, on n’a pas besoin de le faire souffrir ». Je me demandais si son discours avait sa place dans un article qui traite d’environnement, mais j’ai fini par me dire que l’environnement inclut totalement la faune! En ayant étudié en Études autochtones, j’entends déjà les levées de bouclier de la communauté anthropologique qui s’intéresse au mode de vie des chasseurs-cueilleurs et des éleveurs, mais je trouve fort à propos le mot que Éline a répété au moins 5 fois: accessibilité: « si on y a accès ». Et puis, éthiquement, c’est leur posture à elles, les 3 fondatrices de Muscade.

 

 
Crédit
photo : Ariane Genet de Miomandre

 

Implication gouvernementale

Comme le gouvernement agit surtout sous la pression d’une masse critique, il est un peu à la traine et subit les influences des industries polluantes, mais lucratives. 13 novembre 2020 :

« Le gouvernement du Canada s’investit dans la lutte contre la pollution par le plastique et dans la transition vers une économie circulaire, notamment en interdisant certains plastiques à usage       unique néfastes. En collaborant avec des chercheurs universitaires et des organisations à but non lucratif, nous comblons le manque d’information sur les effets des plastiques sur la santé des Canadiens et notre environnement, nous progressons vers l’objectif de zéro déchet de plastique d’ici 2030 et nous créons un avenir plus propre pour nos enfants et nos petits-enfants. » – Peter Schiefke, secrétaire parlementaire du ministre de l’Environnement et du Changement climatique.[3]

Mais est-ce que le gouvernement met réellement l’avenir plus propre pour nos enfants en priorité en tant que leader cohérent, pour le bien de ses citoyens? Ou n’est-ce pas aux citoyens de l’exiger de manière musclée pour lui faire comprendre une volonté de plus en plus répandue et qu’il n’a pas le courage de financer, en se mettant quelques groupes de pressions économiques à dos? Éline m’explique que sur le Plateau, où les déchets organiques sont enfin collectés séparément afin d’en faire du compost, auprès de chaque résidence, les restaurateurs et autres commerces ayant des déchets organiques ne bénéficient pas de cette collecte municipale, qu’ils aient un gros ou un tout petit volume de déchets organiques. Il faut payer un fort montant pour se débarrasser responsablement de ses déchets. Idem pour le recyclage. Du coup, où les commerçants peuvent-ils se débarrasser gratuitement de leurs déchets? Dans les poubelles!

Eline : « Il ne faut pas se dédouaner et avoir, pour autant, un comportement ‘je m’en foutiste’ » Moi j’ajouterais que, si on le fait, le serpent va se mordre la queue : le gouvernement ne fera jamais de lois et ne reverra pas ses pratiques. Éline poursuit : « Je suis d’accord qu’il faut des volontés gouvernementales, il faut des lois, ça ne se fera pas tout seul, ça c’est sûr. Après, en tant qu’individus, on est des consommateurs et ça, c’est un énorme pouvoir (…). Le choix d'où est-ce qu’on met notre argent a un énorme impact, car on vit dans un monde capitaliste où le consommateur choisit ce qu’il fait et ce qui rapportera de l’argent à telle ou telle entreprise (…). Ça se voit que certaines industries sont obligées de réagir aux comportements des consommateurs : par exemple sur les déchets on voit des volontés de retour à la consigne (…) des grandes chaînes qui proposent de ramener ses contenants pour la partie traiteur… » Éline évoque une page Facebook de zéro déchet très populaire sur Montréal où, quand quelqu’un annonce que tel commerce accepte les contenants réutilisables, les membres sont contents et vont aller à cette enseigne parce qu’elle respecte en tout ou en partie leurs valeurs. Et puis 4 nouveaux magasins de vrac sur Mont-Royal juste en 2020, c’est un signe qu’il y a des adeptes.

Maintenant, côté budget, éthique ou pas, on pense souvent que ça coûte plus cher. « Je dirais que c’est pas faux », avait déjà honnêtement admis Éline. « Mais on essaie de concurrencer les grandes surfaces sur les articles de base (…) et ne pas faire de marge pour être au même prix que n’importe où sur tout ce qui est absolument nécessaire pour se nourrir. On essaie de faire notre marge sur la partie du fait maison et des cafés. Donc il y a beaucoup de clients qui nous disent que c’est moins cher que ce qu’ils pensaient : ils passent à la caisse et sont étonnés du prix qui est, finalement, très bas. On a beaucoup d’étudiants dans nos amis qui font leurs courses ici, etc. ». Moi, étudiante de l’Université de Montréal, quand j’étais bien organisée, avant la pandémie, je faisais mes courses en vrac à l’UdeM. où les prix sont dérisoires, car il n’y a pas de frais de locaux et d’électricité, pas de salaires à payer et pas de marge de profits à calculer. Les étudiants qui travaillent pour le projet En Vrac [4] sont bénévoles et on peut leur lever notre chapeau tout autant qu’à ceux qui font l’effort d’apprivoiser le vrac dans leur vie pour réduire les contenants à la source. Comme le dit Béa Johnson, la guru du mouvement zéro déchet, « le meilleur déchet est celui qu’on ne produit pas ».

Ariane Genet de Miomandre

 


[1] Canada.ca, “Le gouvernement du Canada investit dans la recherche sur la pollution par le plastique dans notre environnement », consulté le 19 novembre 2020. www.canada.ca/fr/environnement-changement-climatique/nouvelles/2020/11/le-gouvernement-du-canada-investit-dans-la-recherche-sur-la-pollution-par-le-plastique-dans-notre-environnement.html

[2] idem

[3] idem

[4] nouvelles.umontreal.ca, « En vrac, bio et écolo, à petit prix, sur le campus », consulté le 23 novembre 2020, nouvelles.umontreal.ca/article/2018/11/20/en-vrac-bio-et-ecolo-a-petit-prix-sur-le-campus/