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Tourisme, reflet de la mondialisation

Uma a fait des voyages assez longs et elle est parfois retournée sur les mêmes sites pour être à même de constater des changements entre sa première visite d’un endroit et les dernières visites. En tant qu’adeptes d’un certain type de tourisme, ensemble, nous nous interrogeons au sujet de la dégradation de l’environnement due aux activités touristiques. 

Vaste sujet qu’il m’a été donné de discuter avec celle que j’appellerai Uma (nom fictif). Toutes deux, nous avons voyagé sur presque tous les continents, en mode sac à dos, et avec un intérêt pour les populations locales, les cultures et leurs environnements respectifs. L’environnement est parfois l’attrait numéro un de certains voyages mais le tourisme ne protège pas toujours ces sites qui lui sont si chers. Au contraire.

Uma a fait des voyages assez longs et elle est parfois retournée sur les mêmes sites pour être à même de constater des changements entre sa première visite d’un endroit et les dernières visites. En tant qu’adeptes d’un certain type de tourisme, ensemble, nous nous interrogeons au sujet de la dégradation de l’environnement due aux activités touristiques.

Réflexions sur les transports

La première cause de dégradation de l’environnement à laquelle on pense quand on évoque le tourisme, ce sont les transports. Le secteur du transport aérien intérieur a émis 8,5 Méga tonnes de CO2 en 2008. Sur les émissions intérieures de gaz à effet de serre (GES) du secteur des transports, au Canada, 5 % ont été produites par le transport aérien : à peine 1 % du total des émissions du Canada.[1] Ce chiffre ne tient pas compte des émissions des avions qui sont partis à l’étranger. Je pourrais trouver le chiffre pour le % d’émissions de CO2 juste par les avions par rapport aux émissions de CO2 de tout le globe durant une certaine année (on parle d’environ 2%) mais cela comprendrait le fret de produits.

D’un autre côté, les avions sont responsables aussi de l’émission de glycol dans l’eau pour le dégivrage, d’Oxydes d’azote, d’Oxydes de Soufre et Composés Organiques Volatils (COV) et leur construction est polluante. Les transports, c’est aussi la voiture louée à destination, les autobus voyageurs qui diminueraient drastiquement sans tourisme, les mini bus, vans, jeeps, utilisés pour les excursions privées et semi-privées, les travailleurs et les produits transportés vers les hôtels et lieux hautement touristiques. On ne parle même pas de l’eau, des défections humaines et autres polluants ou des déchets plastiques. « En 2009, le tourisme représentait une émission de 3,9 milliards de tonnes de COtandis qu’en 2013, ce chiffre avait déjà grimpé à 4,5 milliards de tonnes. Lorsque l’on sait que le tourisme mondial a augmenté de 7 % uniquement sur l’année 2017, on ne peut que redouter les chiffres actuels. Il faut cependant préciser que dans ce compte-rendu, les déplacements professionnels n’ont pas été dissociés du tourisme vacancier ».[2] Le site n’indique pas comment on a calculé l’empreinte CO2 du « tourisme » mais si on n’utilise ni hôtel ni véhicule particulier ou semi particulier sur place, on réduit déjà de beaucoup notre empreinte.

Uma y a bien sûr réfléchi, elle qui a pris l’avion plus de 100 fois entre 20 ans et 30 ans seulement et qui, parmi les emplois occupés au Québec pendant ces 10 ans, a travaillé quelques mois pour Greenpeace. « C’est clair qu’il faut diminuer. Ça, on est tous d’accord. Mais ce qui peut être décourageant c’est que toi, par exemple, ou moi qui va sacrifier le voyage ou le vol que tu vas prendre en une année, par rapport à l’utilisation outrancière de d’autres dans les milieux de commerce ou dans les milieux d’affaires (…) Ce n’est pas tant un comparatif du genre : si eux ne font pas d’efforts, moi non plus! Mais est-ce que les privations individuelles peuvent effectivement faire une différence? » Il faut avoir une conscience globale des enjeux.

Est-ce que cesser de prendre un à trois avions aller-retour par an pour une personne, va vraiment changer la donne? « A lieu de ça, je vais faire des choix entre le voyage en famille au Japon et le colloque en Espagne. J’ai décidé de laisser faire le colloque en Espagne parce c’était juste pour une semaine et que c’était dans mes capacités de faire ce choix ». On peut compenser nos émissions de carbone; on peut réduire le nombre d’escales; on peut réduire la distance de notre destination vacances; on peut réduire le nombre de départ par an et faire aussi attention à la pollution que l’on crée directement et indirectement sur place.

Dégradation des plus beaux sites… victimes de leur succès

Mais l’astrophysicien Aurélien Barrau dit, dans une conférence donnée à l’institut de l’économie positive, en février 2020: « Ce n’est pas le réchauffement climatique qui, à ce stade, est responsable de l’extinction de la vie sur Terre. Pas du tout! Ce sont les pesticides, la surpêche et la disparition des espaces de vie. (…) C’est notre manière d’habiter l’espace, l’enjeu ».[3] Uma a fait un échange universitaire à la Universidad Autonoma de baja California Sur (UABCS), au Mexique, dans le programme de tourisme alternatif. Au cours de son séjour, elle a également eu l’occasion de s’engager auprès de différentes organisations tels l’organisme NOLS[4] et différents groupes de défenses des écosystèmes et de la faune marine. Plusieurs groupes d’étudiant.es y étaient mobilisés pour défendre un endroit stratégique au niveau de l’écosystème, endroit où se reproduisent plusieurs espèces. NOLS essayait d’empêcher des projets d’infrastructures menaçant les écosystèmes. Malheureusement, les côtes, lieux magnifiques, étaient vendues à des intérêts privés et se transformaient en lieux hautement touristiques qui menaçaient la biodiversité. Elle et ses acolytes, étudiant.es en biologie marine, regardaient avec découragement les touristes en constatant l’impact épouvantable sur les animaux. Elle se rappelle que c’était beaucoup de Mexicains, pas des touristes internationaux seulement.

« Les gens ne savent pas. Il faut conscientiser les touristes ». Et puis il y a le tourisme de luxe qui est peut-être encore plus désespérant car, même au fait, le touriste blasé recherche des sensations rares et exclusives. Il ira sur « la presqu’île d’en face où vont pondre les tortues. Et comme il y a beaucoup d’argent en jeu (…) au niveau de la politique et de la survie des populations (humaines) locales, les jeunes qui étudiaient en tourisme alternatif en faisaient leur principal combat. Ce qu’ils essayaient de faire comprendre c’est que c’est pas juste une situation locale qui doit être traitée avec des solutions locales. On parle de la biodiversité mondiale! C’est un cycle migratoire planétaire ».

Le professeur en tourisme et en développement durable à l'Université du Québec à Montréal (UQAM), Alain A. Grenier, a été guide en Antarctique, il y a 30 ans. Il se rappelle que les gens n'étaient jamais satisfaits de la distance qui les séparait des animaux. Les touristes marchaient au milieu des manchots, expérience fort perturbante pour ces animaux. Avoir le meilleur point de vue. Voilà les revendications des voyageurs qui paient une fortune pour ce genre d'expédition.[5]

Uma a aussi été à deux reprises dans les Gili Islands, en Indonésie. Elle a appris l’indonésien, a été guide de snorkeling sur un tout petit bateau, en échange de l’hébergement et du couvert, en 2004. Elle a fait du snorkeling tous les jours, plusieurs fois par jour, et ce pendant plusieurs mois. Elle décrit cet endroit comme ayant « des poissons partout, de toutes les formes, toutes les couleurs et il y avait probablement plus de poissons que d’eau », en 2004! Cette biodiversité s’explique par le fait que les fonds ne sont pas profonds. Ils étaient tapissés de récifs coralliens et ces récifs sont le garde-manger vivant des poissons. En 2009, elle est retournée aux Gili Islands et s’est demandé : « ils sont où les poissons? ».

Cinq ans auparavant, les touristes très spécialisés des Gili, cherchant les plus beaux endroits pour la plongée, lui avaient venté Sulawesi comme étant encore plus exceptionnel. Elle y a aussi été. Tant les Gili que Sulawesi étaient devenus ultras touristiques. « Quand les touristes trouvent ça beau, ils touchent ». Alors des récifs coralliens complets sont morts, n’attirant plus la biodiversité d’avant. Les fast boats sont pour les touristes. Les plongeurs perturbent aussi les poissons. Plus ils sont et plus souvent les poissons en voient, plus c’est perturbant. Sans compter la pêche qui s’est intensifiée en fonction du nombre de touristes à nourrir. « Y’a rien ici », s’est dit Uma, en faisant du snorkeling à Sulawesi…    

Exploitations animales et humaines en tout genre

J’ai honte de le dire mais moi-même j’ai déjà été « nager » avec un dauphin, à Cuba, pensant que l’activité plairait à mon fils. Le problème? La captivité pèse lourd sur la vie des dauphins, bien qu'ils semblent jouer et afficher un sourire perpétuel. Comme pour bien des animaux, cette activité est source de stress. Le stress causé par leur confinement crée souvent des comportements inhabituels et une faible résistance aux maladies, écrit l'organisme américain de défense des mammifères WDC. Il précise qu'un dauphin en activité doit parcourir 1320 fois la longueur d'un bassin pour atteindre la distance d'un peu moins de 10 km franchi par ses semblables dans la nature chaque jour. »[6] Des parcs d'attraction comme Sea World sont aussi contestés pour leur élevage en captivité d’orques et autres animaux marins. Les promenades à dos d’éléphants, en Asie, sont tristes à voir. Les safaris photo en Afrique peuvent être mal encadrés. Même l’observation des baleines à Tadoussac comporte un facteur de dérangement des rorquals.

« Au début des années 80, on ne pensait même pas que le bruit avait un impact sur les baleines. Maintenant, on a commencé à prendre les signatures acoustiques des bateaux de la flottille du parc marin pour éventuellement identifier des solutions plus pointues, par exemple modifier les bateaux ou moins utiliser ceux qui sont les plus bruyants », illustre Robert Michaud, directeur scientifique du Groupe de recherche et d'éducation sur les mammifères marins (GREMM). »[7]

Alors : voyager ou rester chez soi? Robert Michaud considère qu’« entre le potentiel de dérangement et le potentiel de sensibilisation », continuer l’observation touristique des baleines sensibilise les gens et les incite à adopter des comportements plus responsables. Bons nombres d’endroits seraient extrêmement touchés économiquement (on en parle beaucoup au temps de la COVID-19) si le tourisme cessait drastiquement et durablement. « Le problème, avec notre système, est que tout est attaché à tout », dit Uma. Il y a d’ailleurs plein de belles initiatives réellement aidantes et innovantes tant humainement qu’environnementalement, en matière de tourisme responsable, dont je n’ai malheureusement pas l’espace de traiter dans cet article. Mais pour Uma comme pour plusieurs autres, le problème avec le tourisme de masse est essentiellement un problème de comportement et d’attitude qui perpétuent les rapports de pouvoir.

Quand elle parle des jeunes Européens qui arrivent en Thaïlande, surtout sur Ko San road, à Bangkok, où ils exigent leur bucket d’alcool et veulent « consommer l’Asie comme s’ils étaient encore en Indochine », Uma m’a fait penser à maintes rencontres que j’ai faites en Thaïlande et au Laos. Je me souviens de ces jeunes, qui venaient de finir leur service militaire obligatoire, et allaient se divertir à Vientiane avec les filles occidentales, saoules et bruyantes, qui choquent les populations locales. Je me souviens aussi des touristes arborant fièrement leur t-shirt « good guies go to Heaven. Bad ones go to Pattaya » dans la ville du même nom. Cela semble s’éloigner du sujet environnemental mais cette attitude colonisatrice du client-touriste qui vient exploiter la misère locale avec une arrogance qui semble dire « vous avez besoin de mon argent alors traitez-moi comme un roi », peut être affiché tant par des occidentaux à l’autre bout du monde, venus admirer et fouler l’Himalaya, que par des locaux en vacances dans une ville autre que la leur. Pensons à ces campeurs qui ont envahi la Gaspésie à l’été 2020 et qui ont laissé aires publiques, les plages et terrains privés, pris d’assaut sauvagement sans permission, comme des dépotoirs.[8] Les gens se comportent souvent chez les autres d’une manière dont ils ne se comporteraient jamais chez eux. Tant humainement qu’environnementalement.

 

Ariane Genet de Miomandre

 


[1] Tc.canada.ca, « transport aérien », dernière modification : 13 juillet 2020. https://tc.canada.ca/fr/services-generaux/politiques/transport-aerien-0

[2] Nationalgeographique.fr, « le tourisme serait l’un des vecteurs principaux du réchauffement climatique », consulté le 12 février 2021. https://www.nationalgeographic.fr/environnement/le-tourisme-serait-lun-des-vecteurs-principaux-du-rechauffementclimatique#:~:text=Une%20%C3%A9tude%20vient%20de%20r%C3%A9v%C3%A9ler,de%20serre%20dans%20le%20monde.&text=Publi%C3%A9e%20dans%20la%20revue%20scientifique,gaz%20%C3%A0%20effet%20de%20serre

[3] Youtube.com, « Réveiller, Alerter mais surtout Encourager ! S'engager pour un monde positif - GPF2019 », 5 décembre 2019, https://www.youtube.com/watch?v=_pDd2SPso_Y

iv Nols.edu « About », consulté le 13 février 2021, https://www.nols.edu/en/about/about/

[5] Lapresse.ca, « quand le tourisme dénature le monde », 26 avril 2017. https://www.lapresse.ca/voyage/nouvelles/201704/26/01-5092004-quand-le-tourisme-denature-le-monde.php

[6] Idem

[7] Idem

[8] Ledevoir.com, « Touristes à risque en Gaspésie », 31 juillet 2020, https://www.ledevoir.com/societe/583389/tourisme-touristes-a-risques-en-gaspesie