Passer au contenu

/ Département d'anthropologie

Je donne

Rechercher

Hérons dans la ville

Le héron garde-bœuf, ainsi nommé par sa préférence de se tenir en compagnie du bétail en pâturage, car les mouvements des vaches dérangent les insectes du sol qui deviennent plus facile à repérer, est un oiseau millénaire en Égypte. Très utile pour les agriculteurs, parce qu’il déterre et mange les insectes nuisibles du sol, on le trouve souvent représenté dans les scènes des activités agricoles quotidiennes dans les tombes pharaoniques. Sa valeur est telle que les Égyptiens du Monde antique lui conféraient un aspect divin, le dieu Bénou.

Même aujourd’hui, le héron est tellement admiré dans la culture égyptienne que les manuels scolaires l'appellent souvent par son nom familier, sadiq el-fela'h/, l'ami du paysan. Cet oiseau de taille importante, donc, se trouve aux flancs des fermiers et a acquis une réputation mythique pour sa contribution à l’agriculture. Étant donné sa diète et ses habitudes, il se faisait discret et on ne le voyait pas nicher ni vivre dans des zones peuplées. Il était définitivement un oiseau de campagne. Très résistant aux changements climatiques et écologiques, le héron peut s’adapter à manger des déchets quand il ne trouve pas d’insectes. Ceci est devenu un grand problème en Égypte, transformant cet oiseau d’ami rural en peste urbain. Avec l'urbanisation accélérée des villes du Delta du Nil, les déchets s’accumulent trop rapidement pour les moyens de collecte et de recyclage qui sont en place. Le problème est aggravé par le consumérisme contemporain, qui produit énormément plus de déchets qu’avant. Les hérons se voient donc au bord des routes, au cœur même des villes; bref, partout où il y a des déchets.

Par conséquent, si on prend la route du Caire vers le nord, on va voir un nombre étonnant de hérons à la périphérie des villes en train de s'envoler, de fouiller dans des ordures, ou de nicher sur les arbres. Côté à côté aux corbeaux, les deux oiseaux sont devenus une présence frappante aux bords et même au cœur des villes importantes telles que Mansoura, Damiette et Mahallah Kobra. Le soir, on peut souvent voir les hérons perchés par dizaines sur les arbres, menant à des conditions inhabituelles pour les résidents. Les gens, dépassés par le bruit et par les excréments excessifs, réagissent en coupant les arbres pour s'en débarrasser.

Cette présence pose des questions; la croissance de leur nombre est-elle due aux pesticides utilisés dans l'agriculture qui a diminué la nombre d’insectes dans les terres agricoles qui constituaient leur garde-manger habituel? Est-il le résultat direct du rétrécissement des terres cultivées au Delta, un phénomène troublant depuis des décennies? Quelles conséquences écologiques seront déclenchées par la présence de centaines d'oiseaux autour des déchets au cœur des villes? Qu’arrive-t-il si les quartiers urbains sont dénudés de leurs arbres? Il y a déjà eu un changement important dans la culture : le héron a perdu sa réputation de laquelle il profitait pendant des milliers d’années. Ironiquement, comme dans le cas des ratons laveurs et des ours dans certains pays septentrionaux, l’urbanisation croissante et la perte de terres agricoles limitrophes ont mené à une invasion de la ville par la nature.

Des hérons perchés pour la nuit. Le Delta, Égypte, 2019.
(Crédit photo: Amal Haroun)

 

Amal Idris Haroun