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Les conséquences environnementales de la réponse mondiale à la COVID-19

Le 11 janvier 2021, les enfants fréquentant les écoles primaires de Montréal (et plus globalement du Québec) sont retournés en classe... mais avec un masque. Les 2-3 masques par jour, que certains parents fournissent jetables, par choix ou sans réfléchir aux conséquences, se rajoutent à la quantité phénoménale de masques et de gants déjà présents dans les poubelles de la métropole du Québec.

 

 

 Photo: Ariane Genet de Miomandre, janvier 2021

 

Le 11 janvier 2021, les enfants fréquentant les écoles primaires de Montréal (et plus globalement du Québec) sont retournés en classe... mais avec un masque. Les 2-3 masques par jour, que certains parents fournissent jetables, par choix ou sans réfléchir aux conséquences, se rajoutent à la quantité phénoménale de masques et de gants déjà présents dans les poubelles de la métropole du Québec, dans toute la Province, dans tout le pays et dans le monde entier ! Quand j’ai quitté l’école de mon fils, je l’ai constaté moi-même (voir photo) dans la poubelle devant l’école.

Il demeure très controversé, même après 10 mois de confinements/déconfinements, de retours en arrière et de changements réguliers de discours, d’être critique des mesures gouvernementales. C’est un sujet hautement sensible parce que ces mesures visent à épargner des vies. Ainsi, pour éviter quelques milliers de décès à court terme nous sommes prêts à tous les sacrifices, à toutes les dépenses et à enfermer la population saine, afin de permettre aux hôpitaux et à leur personnel (sous-payé) de gérer les personnes contaminées qui éprouvent des complications et dont le pronostic vital est engagé. Dans les pays émergents, ces mesures draconiennes créent des problèmes encore plus graves, que nos pays occidentaux ne réalisent pas toujours. En effet, cet arrêt de la vie extérieure est une condamnation à mort pour les personnes les plus vulnérables financièrement, qui vivent dans la rue ou vivent de l’économie informelle (càd de la vente de biens ne pouvant pas être envoyés par colis). Au Québec, nous touchons un peu du doigt ce problème avec le débat sur les itinérants et le couvre-feu. Il y a même eu des morts. Mais ça, c’est une autre histoire.

Nous étions nombreux, à la fin de l’hiver 2020, à nous émerveiller de la disparition du smog qui se forme habituellement au-dessus des villes les plus polluées. Nous avons réagi avec émoi au retour des dauphins dans la lagune de Venise (vrai ou pas). Nous avons été plusieurs à espérer que cette pause des activités humaines des années antérieures allait entrainer un renouveau pour les écosystèmes et un changement en profondeur de notre mode de consommation, de nos valeurs. Et si cet arrêt forcé était ce qui allait enfin nous pousser à ralentir, à cuisiner davantage, à encourager le local, le “vert”, et à nous passer de nos voitures, des voyages en avion et de toute notre surconsommation de biens non essentiels (vêtements, sacs en tous genre, manucures, crèmes, parfums, bijoux, chaussures, appareils portatifs, etc.) et à moins nous soucier de notre apparence professionnelle ou sociale. Et si nous devenions plus empathiques envers les plus vulnérables et plus conscients de nos privilèges, mais aussi des dégâts que nous engendrons en vivant comme nous le faisons ?[1]

Ça n’a pas pris longtemps, au printemps 2020, pour que je m’aperçoive que les gens consommaient plus de “plats à emporter”, enrobés d’encore plus d’emballages à usage unique qu’avant. Mais en même temps comment soutenir autrement nos pauvres petits restaurateurs en cette période de confinement ? Moi qui pratique le vrac dans une optique de “zéro déchet, presque”, les commerces qui m’accommodaient avant se sont mis à refuser mes contenants réutilisables. Comble de tout, les magasins de vrac que je fréquentais n’acceptaient plus les contenants qui venaient de l’extérieur. Il fallait donc mettre les biens dans leurs sacs jetables, ce qui n’avait pas de sens et m’a fait arrêter de fréquenter ces endroits. « La crise sanitaire a entraîné une hausse de l’utilisation des plastiques à usage unique par les consommateurs : la hausse atteindrait même 300 % aux États-Unis depuis le début de la pandémie » [2]. Pourtant, les chercheurs le disent : Un contenant qui vient de la maison et qui est bien lavé avec du savon est tout aussi sécuritaire qu’un contenant détenu par les commerces et qui est également sujet à de multiples manipulations, en théorie toutes faites dans les règles d’hygiènes les plus strictes, mais quand on se rend à l’épicerie (et faible est le % de la population qui a cessé d’aller à l’épicerie), force est de constater que les règles ne sont jamais observées comme elles le sont en conditions de laboratoire… [3]

En ce début d’année 2021, les postes de restaurateurs et employés de restaurants mécontents pullulent sur Facebook, déçus de ne pouvoir ouvrir leurs portes alors qu’ils avaient investi des sommes considérables à l’achat de plexiglas, de flèches de circulation, de masques et visières pour le personnel, de produits désinfectants, de contenants et menus jetables ou compostables (malheureusement très chers) pour limiter le plus possible le risque de contamination par des objets potentiellement infectés...Je réalise avec effrois tout le gaspillage de produits, de plastique et de nourriture dans les commerces de restauration, qu’auront engendrés toutes les mesures mises en place en 2020, et qui malheureusement se poursuivent en 2021.

 

Photo: Wikimedia

« Les experts du Laboratoire en science analytique agroalimentaire de l’Université de Dalhousie ont conclu qu’il se gaspillait 13,5 % plus de nourriture qu’avant les premières mesures de confinement. La pandémie a évidemment conduit les gens à (...) jeter des aliments plus souvent, postulent les auteurs. Avant 2020, le gaspillage alimentaire occasionnait déjà des pertes de 50 milliards par année au Canada, selon le ministère fédéral de l’Agriculture. Soulignons que la hausse du gaspillage de nourriture a également été observée dans d’autres pays depuis le début de la pandémie ». [4]

 

J’ai également constaté que pour contrer la fermeture des magasins, la population commandait massivement en ligne et que Amazon s’enrichissait comme jamais... En réponse, Greenpeace a créé une pétition pour obliger Amazon à repenser ses emballages : “Rien qu'en 2019, Amazon a produit tellement d'emballages en plastique que, s'ils avaient eu la forme de coussins en plastique, ils auraient pu faire plus de 500 fois le tour de la Terre. L'entreprise tente de se dégager de ses responsabilités environnementales en investissant des millions dans des initiatives de recyclage. Mais la réalité est que la plupart des installations de recyclage en Amérique du Nord n'acceptent pas les types de plastique qu'elle utilise” [5]. TVA nouvelles a aussi révélé que Boeing a vendu quatre de ses avions à Amazon qui compte bien les utiliser le plus possible pour les rentabiliser.

 

Photo: Greenpeace

Si les dangers pour la santé générés par la présence en grande quantité de plastique dans l’environnement n’avaient pas été sourcés dans mon récent article sur les plastiques à usage unique, voici ce que j’ai trouvé depuis : « (d)es scientifiques ont découvert que les microparticules de plastique peuvent affecter la capacité du phytoplancton à absorber le CO2 pendant la photosynthèse à la surface de l’océan, et à transporter ce carbone vers les profondeurs. Un rapport (disponible en anglais) du Center for International and Environmental Law (CIEL) estime que les niveaux actuels d’émissions de gaz à effet de serre (GES) liés au plastique menacent notre capacité à maintenir l’augmentation de la température mondiale en dessous de 1,5°C – le seuil de réchauffement au-dessus duquel nous augmentons les risques pour l’humanité et l’environnement. ».[6] Or qui dit “réchauffement terrestre” dit menace pour la santé des hommes (et de tous les êtres vivants en général).

 

Des chercheurs comme Laure Patouillard tentent de démontrer que, malgré une utilisation moindre de la voiture grâce à la généralisation du télétravail, du moins pour ceux pour qui cela est possible, toutes les vidéo-conférences et autres utilisations du “cloud” ont un impact environnemental qu’encore peu de gens réalisent, car quasi invisible.[7] Cependant, on peut prendre conscience du problème en pensant à tous ceux qui ont dû changer leur ordinateur, leur modem-routeur, ou acheter une imprimante-scanneur pendant la pandémie à cause d’une utilisation accrue des TIC. Il faut aussi avoir à l’esprit les énormes tours de data de la Silicon Valley, pour ne mentionner qu’elle, très gourmandes en énergie. Tous les data center du monde sont responsables à eux seuls de la consommation de 3 à 4% de l’électricité mondiale. Cette consommation double tous les 4 ans et est à l'origine de 2% des émissions de gaz à effet de serre (parce que leur alimentation se fait encore souvent par des énergies fossiles). [8]

 

 

Photo: Justin Bautista

Pour en revenir aux masques jetables, utilisés en temps normal dans les hôpitaux, ils donnent l’impression d’être plus efficaces, de mieux nous protéger, que les masques lavables en tissu. Le gouvernement a donc demandé que les adolescents fréquentant des écoles secondaires portent des masques de procédure, car non seulement ces masques protègent les autres des gouttelettes émises quand nous parlons/respirons/toussons, mais ils protègent aussi la personne qui les porte. On en fournit actuellement 2 par jour aux adolescents...ce qui est susceptible de créer des cimetières de masques tous les jours, à la sortie des cours ! « En février 2020, la Chine produisait 116 millions de masques par jour, soit 12 fois plus que la quantité produite en temps normal. Dans les hôpitaux de Wuhan, au plus fort de la crise, on jetait chaque jour 240 tonnes de masques, gants et équipements à base de plastique, soit six fois plus que la quantité de déchets normalement envoyée à la poubelle. La même tendance a aussi été observée aux États-Unis plus tard au cours de l’année 2020 ».[9] Pourtant, scientifiquement, rien ne justifie un tel choix : « (p)lusieurs études, dont une publiée dans la célèbre revue médicale JAMA, rapportent que les masques en tissus sont aussi bons, parfois même plus efficaces que les masques chirurgicaux conventionnels pour filtrer le coronavirus ».[10] De plus, même un masque de procédure se lave et se sèche en machine jusqu’à 10 fois sans que son efficacité en soit altérée (j’ai fait le test et, à l’œil, ça semble être le cas).[11] Mais une personne se présentant dans un établissement secondaire ou un CLSC avec un masque propre se fera, de toute manière, obliger à porter un masque qui sort de la boîte.  

Or, le problème n’est pas tant de vouloir se protéger ou protéger les autres. Le souci de cette réponse globale à un virus mondial se situe au niveau des mentalités. La situation a exigé des réponses musclées, mais les gens n’ont pas réagi en pleine conscience élargie et avec le recul nécessaire pour voir à long terme. Tout le monde a réagi en panique et a improvisé au fur et à mesure. Les mentalités n’ont pas changé. C’est pourquoi la COVID-19 aura été un désastre environnemental. La manière dont les politiciens ont répondu mondialement à la pandémie manque aussi de vision à long terme, de cohérence et d’objectivité.

Premièrement, fournir de l’équipement aux gens leur évite de dépenser, mais ne leur donne pas la conscience de la dépense de matières premières, de la dépense en transport et de celle en emballages. On dit souvent qu’on ne paie pas le vrai coût environnemental de ce que nous consommons, les masques jetables distribués gratuitement en sont un bel exemple.

Deuxièmement, le règne de la peur que les politiques ont instauré pour que la population suive les règles sans trop tricher a mené à des aberrations comme le gaspillage de nourriture dans les maisons et dans les restaurants et l’arrêt de l’utilisation de contenants réutilisables “juste pour être sûr” alors que cela n’a pas de fondement scientifique et est lourd de conséquences pour l’environnement. Troisièmement, tout ce que nous aurons déversé comme déchets et comme produits chimiques dans l’environnement (et sur la peau des gens) va aussi vulnérabiliser les populations du futur. Pourtant si les sommes qui ont été investies dans la réponse à la COVID-19 l’avaient été dans la lutte contre les changements climatiques, on les aurait atteints les objectifs de la COP21 !

 

Par Ariane Genet de Miomandre et Fanny Eyboulet

 

     

 


[5] Oceana.ca. “Amazon plastics problem revealed”. 15 décembre 2020. https://oceana.ca/sites/default/files/amazons_plastic_problem_revealed_-_december_15_2020_-_oceana.pdf

[6] Greenpeace.org. “Les plastiques à usage unique sont un danger pour la santé. Point”. Consulté le 27 janvier 2021. https://www.greenpeace.org/canada/fr/histoires/37848/les-plastiques-a-usage-unique-sont-un-risque-pour-la-sante-point/

[8] https://www.greenit.fr/2015/05/12/quelle-est-l-empreinte-environnementale-du-web/ ; blog.economie numerique.net/2018/07/29/de-limpact-ecologique-insoupconne-des-nouvelles-technologies/

[10] https://www.journaldemontreal.com/2021/01/16/845-millions-de-masques-qui-iront-aux-poubelles

[11] https://ici.radio-canada.ca/premiere/emissions/Par-ici-l-info/segments/entrevue/209459/masque-procedure-enquete-bleu-jetable