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Faites la transition, pas l'extraction!

A l’heure où j’écris ce billet, deux actualités se font face. D’une part, au Canada, la nation Wet’suwet’en située dans le Plateau central de la Colombie Britannique continue de s’opposer au projet de gazoduc CoastalGasLink qui traversera leurs terres héréditaires. Après le démantèlement du camp Unistoten que les Wet’suwet’en avait érigé pour bloquer l’accès aux ouvriers de CoastalGasLink  et l’envoi de la police pour mettre fin à des blocus ferroviaires en février 2020, les négociations sont au point mort entre les opposants au projet et le gouvernement fédéral.

De nombreux citoyen.nes canadien.nes et québécois.es, ainsi que d’autres Premières Nations ont exprimé leur soutien aux Wet’suwet’en et ce, tant pour des raisons de respect des droits ancestraux de ces derniers, que par rejet du projet de gazoduc, par souci écologique. Paradoxalement, de l’autre côté de l’Atlantique, les opposant.es à un autre grand projet d’infrastructure sont en fête. La Cour d’Appel d’Angleterre a refusé l’extension de l’aéroport Heathrow de Londres, au motif que ce développement faisait fi des engagements pris par le pays en ratifiant les Accords de Paris (2015). Pour l’un des militants à l’origine de la procédure judiciaire, « le glas sonne pour l’économie carbonée »[1]. Si la justice (et même la finance internationale[2]) semble progressivement prendre acte de la nécessité de se détacher de l’industrie fossile, la politique canadienne résiste au consensus scientifique qui prédit l’incommensurable péril planétaire causé par les émissions de GES.

L’opposition au projet de CoastalGasLink est une résistance nécessaire face un ancien monde périmé, à un modèle à bout de souffle qui conduit notre système-monde dans le mur.

Le développement économique canadien est profondément ancré dans l’extraction de ressources, en particulier, fossiles. Or, ces ressources sont non renouvelables. Aujourd’hui, les réserves se raréfient et leur Taux de Retour Energétique (TRE) dégringole – ce qui veut dire, pour résumer grossièrement, qu’il faut dépenser de plus en plus d’énergie pour aller chercher des ressources, d’où l’essor de techniques d’exploitation dites « non conventionnelles » d’hydrocarbures – tels que les sables bitumineux en Alberta. Ces industries sont aussi extrêmement émettrices de gaz à effet de serre. Entre 2000 et 2017, ces émissions ont augmenté de 23% au Canada[3]. On ne peut que frissonner en apprenant que le Canada a pour objectif, à l’horizon 2025, de tripler la production de pétrole et d’accroître ces exportations de gaz de schiste[4]. On peut raisonnablement douter que le pays parvienne ainsi à respecter ses engagements pris à Paris.

Or, les soutiens du gazoduc argumentent que le gaz naturel liquéfié produit deux moins de gaz à effet de serre dans l’atmosphère que le charbon. L’exporter à des gros pollueurs comme la Chine serait donc bénéfique pour la planète. Cela ferait-il de CoastalGasLink le chantre de la transition énergétique ? Loin s’en faut ! La production de gaz naturel requiert la fracturation hydraulique et dès lors, le forage de milliers de puits[5]. Les impacts de la fracturation hydraulique pour l’environnement sont désastreux : on peut craindre une augmentation de la sismicité, une multiplication de fuites de méthane dans l’atmosphère, un gaz au pouvoir réchauffant bien supérieur à celui du CO2[6]. La fracturation hydraulique contamine également l’eau, ruinant la vie des populations locales et des écosystèmes. Enfin, construire le gazoduc conduirait à emprisonner le Canada, pour des décennies, dans des chemins de production polluants, au lieu d’investir dans des énergies qui ont moins d’impact environnemental et social. Tous ces éléments conduisent Will Dubitsky à écrire que « le Canada est aveugle à la révolution internationale sur les énergies propres »[7].

Pour faire face à la catastrophe environnementale en cours (et en accélération), il faut engager résolument une transition écologique. Cette transition ne signifie pas continuer des mégaprojets polluants avec quelques mesures d’atténuation. Les changements climatiques, pour emprunter l’expression de Naomi Klein, constituent un « coup de semonce civilisationnel »[8]. Cette transition sera systémique ou ne sera pas. Cela implique de prendre du recul sur nos valeurs et sur les rapports que nous entretenons, tant avec la Nature qu’entre êtres humains. Le conflit avec les Wet’suwet’en illustre bien la consanguinité entre politique coloniale et politique extractiviste. Si nous voulons réduire l’ampleur des dégâts environnementaux et sociaux, il est grand temps de questionner structurellement notre modèle socio-économique mais aussi démocratique[9].

Une transition écologique ne pourra être réussie sans respect, humilité, collaboration et équité. Elle ne peut surtout pas se passer d’une réduction importante des flux matériels et énergétiques de notre civilisation. Si nous ne planifions pas nous-mêmes cette descente, la Nature s’en chargera.

Clara Guillemin[10]

 

27/02/2020

 

 


[8] Naomi Klein (2014) This changes everything: capitalism vs climate, Simon & Schuster

[9] Timothy Mitchell (2011) Carbon democracy: political power in the age of oil, Verso.

[10] Maîtrise Environnement et développement durable, spécialité enjeux sociaux et gouvernance, Université de Montréal