On sait depuis quelques années que les premiers comportements symboliques remontent à il y au moins 100 000 ans, et consistent majoritairement en objets de parure, pigments et gravures abstraites. L’intégration de représentations tridimensionnelles, sculptées ou modelées, dans le répertoire culturel des sociétés humaines, est par contre moins bien documentée. L’apparition de ces productions symboliques dans différentes régions du globe est encore mal connue, et les questions de diffusion ou de ré-invention de ce comportement restent d’actualité. Une équipe internationale, composée de chercheurs du CNRS-Université de Bordeaux, des universités de Shandong, Bergen et du Weizmann Institute of Science, vient de dévoiler dans la revue PLOS ONE la découverte, dans un site chinois, d’une sculpture d’oiseau miniature façonnée dans de l’os brûlé et vieille de 13 500 ans. La découverte de cette statuette, la plus ancienne œuvre d’art chinoise connue, recule de plus de 8 500 ans l’origine de la sculpture en Asie de l’Est. Les particularités stylistiques et techniques qu’elle présente – il s’agit de la seule sculpture paléolithique connue représentant un animal qui tient debout grâce à un piédestal – semblent identifier une tradition artistique originale, inconnue jusqu’à présent.
L’idée selon laquelle des manifestations artistiques auraient fleuri pour la première fois au moment où des membres de notre espèce, Homo sapiens, arrivent en Europe il y a 42 000 ans a été récemment remise en question suite à la découverte de peintures rupestres de la même époque en Asie du Sud-Est, à Bornéo et Sulawesi. De même, la datation à 64 000 ans de dépôts de calcite recouvrant des signes géométriques et des empreintes de mains sur les parois de trois grottes espagnoles suggère qu’ils seraient l’œuvre de Néanderthal. À la lumière de ces faits nouveaux, parfois controversés, la seule forme artistique pour laquelle l’Europe d’une part, et Homo sapiens d’autre part, peuvent encore prétendre être le centre d’origine reste la sculpture. Les plus anciennes statuettes connues, sculptées dans de l’ivoire de mammouth et figurant des animaux et des humains, datent de l’Aurignacien (40 000 avant le présent) et proviennent de sites archéologiques du Jura souabe en Allemagne. Or, en de vastes régions du globe, peu d’indices actuellement disponibles permettent de documenter l’origine des représentations tridimensionnelles avant le Néolithique. Une équipe internationale de chercheurs français (UMR PACEA-Université de Bordeaux), canadiens, chinois, israéliens et norvégiens vient de publier dans la revue PLOS ONE la découverte de la plus ancienne sculpture chinoise connue. Elle a été mise au jour à Lingjing, un site de la province du Henan, dans un contexte archéologique daté entre 13 800 et 13 000 ans. La sculpture, noire car produite sur un fragment d’os brûlé et d’à peine un centimètre et demi de longueur, représente un oiseau appartenant probablement à l’ordre des passériformes. Au lieu de sculpter les pattes de l’oiseau, l’artiste a façonné un piédestal permettant à la figurine de tenir debout. Grâce à l’état de conservation exceptionnel de l’objet et à l’application de techniques d’analyse de pointe, notamment la microscopie confocale et la microtomographie, les chercheurs ont pu reconstituer la démarche du sculpteur paléolithique avec un détail jusqu’à présent inégalé dans les études sur des œuvres d’une telle antiquité. Le petit passeriforme a été sculpté avec grand soin en combinant quatre techniques différentes qui ont laissé sur la surface de l’objet soixante-huit microfacettes. L’analyse microscopique de la surface de l’objet ne laisse aucun doute : l’artiste a su choisir les outils adaptés et les utiliser en alternance pour atteindre, en considérant la petite taille de la sculpture, un résultat d’un équilibre formel et d’une beauté étonnante. Cette découverte identifie une tradition artistique originale et repousse de plus de 8 500 ans la représentation du thème aviaire dans l’art chinois. La sculpture diffère technologiquement et stylistiquement des autres sculptures mises au jour en Europe de l’Ouest et en Sibérie. Il s’agit du seul exemplaire d’art datant du Pléistocène récent de couleur noire et figurant un oiseau debout. Elle pourrait être le chaînon manquant qui permet de faire remonter au Paléolithique, sans solution de continuité, l’origine de la statuaire chinoise.
Discovery of the oldest Chinese art
It has been known for some years that the first symbolic behaviours date back at least 100,000 years, and consist mainly of personal ornaments, pigments and abstract engravings. The integration of three-dimensional representations, whether sculpted or modelled, into the cultural repertoire of human societies is less well documented. The appearance of these symbolic productions in different regions of the world is still poorly known, and questions of dissemination or re-invention of this behaviour remain topical. The oldest known statuettes, carved from mammoth ivory and depicting animals and humans, date to the Aurignacian period (40,000 years ago) and come from archaeological sites located in the Swabian Jura, Germany. For large areas of the world, however, it remains unclear when the production of three-dimensional representations became an integral part of the cultural repertoire of human societies, and whether this innovation was achieved independently or by diffusion from a center of origin. An international team of researchers from the CNRS-University of Bordeaux, the Universities of Shandong and Bergen, and the Weizmann Institute of Science has just unveiled in the journal PLOS ONE the discovery, at a Chinese site, of a 13,500-year-old miniature bird sculpture made from burnt bone. The discovery of this statuette, now the oldest work of Chinese art, sets back the origin of sculpture in East Asia by more than 8,500 years. Its stylistic and technological peculiarities – it is the only known Paleolithic sculpture of an animal standing on a pedestal – identify an original artistic tradition, unknown until now.
The idea that artistic manifestations first flourished when members of our species, Homo sapiens, arrived in Europe 42,000 years ago has been challenged by the discovery of cave paintings from the same period in Southeast Asia, at sites from Borneo and Sulawesi. Similarly, the dating of 64,000-year-old calcite deposits covering geometric signs and handprints on the walls of three Spanish caves has led to the interpretation that they were painted by Neandertals. In the light of these advances, which are still controversial, sculpture remains the only art form for which Europe can claim with some certainty to be the center of origin. The oldest figurines, found at Ancient Aurignacian sites of the Swabian Jura, Germany, and dated to 40,000 years ago, are anthropomorphic and animal representations carved in mammoth ivory. In vast regions of the world, little is known about the origin of three-dimensional representations. An international team of researchers from France (UMR PACEA CNRS - University of Bordeaux), Canada, China, Israel and Norway has just published the study of the oldest Chinese sculpture in the journal PLOS ONE. The carving was unearthed at Lingjing, a site located in the Henan Province, from an archaeological context dated between 13,800 and 13,000 years ago. The sculpture was carved in a burnt bone fragment and depicts a bird, probably belonging to the Passeriform order. Instead of carving the bird’s legs, the artist has whittled a pedestal that allows the figure to stand. Thanks to the exceptional state of preservation of the object and the application of advanced analytical techniques, including confocal microscopy and µCT-scan, researchers were able to reconstruct the manufacturing process implemented by the Paleolithic sculptor at a level of details unmatched in previous studies of objects of comparable antiquity. The small passerine was sculpted with great care by combining four different techniques that left sixty-eight microfacets on the surface of the object.
The microscopic analysis leaves no doubt: the craftsman knew how to choose the right tools and apply them to achieve, considering the small size of the sculpture, an astonishing balance and beauty. This discovery identifies an original artistic tradition and pushes back by more than 8,500 years the representation of birds in Chinese art. The figurine differs technologically and stylistically from other specimens found in Western Europe and Siberia. It is the only carving dating from the Late Pleistocene which is black in colour and depicts a standing bird. It could be the missing link tracing the origin of Chinese statuary back to the Palaeolithic period.
Légende figure / Figure legend
Photo et reconstitution 3D par microtomographie de la sculpture d’oiseau miniature découverte à Lingjing (province du Henan, Chine), datée à 13 500 ans. / Photo and 3D µ-CT rendering of the miniature bird carving found at Lingjing (Henan Province, China), dated to 13,500 years ago. Photo : Francesco d’Errico & Luc Doyon
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Africa, Europe and Middle-East
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francesco.derrico@u-bordeaux.fr
Asia-Pacific
Fang Hui I Institute of Cultural Heritage I Shandong University I +86 135 8906 2078
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Americas (North, Central and South)
Luc Doyon I Institute of Cultural Heritage I Shandong University I PACEA UMR 5199 I CNRS - Université de Bordeaux I +1-514-803-8982
luc.doyon@umontreal.ca
Référence / Reference
Z. Li, L. Doyon, H. Fang, R. Ledevin, A. Queffelec, E. Raguin, F. d’Errico. 2020. “A Paleolithic bird figuring from the Lingjing site, Henan, China”, PLOS ONE, journals.plos.org/plosone/article