Bulletin des diplômés, été 2021
Mot du directeur
Bienvenue à notre édition estivale du Bulletin des diplômés. Bien que 2021 soit le 60e anniversaire du département, dans le contexte de la période d’isolement de 15 mois que nous avons traversée, nous avons décidé de ne pas le célébrer. Nous espérons vivement que tout le monde a pu vaincre les défis de la pandémie.
En fait, nous sommes fiers que les efforts de notre équipe aient porté leurs fruits. Nous avons créé un espace laboratoire temporaire pour accueillir jusqu’à 100 étudiantes et étudiants par semaine, car il était impossible d’annuler ce type de cours sans éventrer nos programmes. Cependant, notre nouveau laboratoire 3D nous a permis de numériser plusieurs échantillons et d’ainsi limiter le nombre de séances au département et donc d’étudiantes et étudiants qui ont suivi ces ateliers.
Heureusement, nous n’avons enregistré aucun cas de COVID-19. Merci à l’équipe – Claire, Jean-Christophe et Violaine – pour un travail magnifique de désinfection, de nettoyage, de préparation, d’organisation.
En dépit du ton sobre, nous ne pouvons survoler en silence ces 60 ans d’activités. En l’honneur de cet anniversaire, nous vous présentons donc dans ce bulletin les réponses à 13 questions que nous avons posées à quelques membres de notre communauté, ainsi que quelques appréciations personnelles du département.
Comme toujours, nous vous invitons à partager vos histoires et photos du passé : anthro@umontreal.ca. Bonne lecture!
Guy Lanoue (guy.lanoue@umontreal.ca)
Merci!
À cette occasion de célébration des 60 ans du département, plutôt que de parler de nos réalisations et de souligner nos contributions aux savoirs, laissez-moi vous raconter une histoire qui illustre les répercussions de l’anthropologie sur la vie contemporaine et la raison pour laquelle je veux remercier nos diplômées et diplômés.
Il y a 2 semaines, j’ai assisté à un événement désagréable. Je sortais d’une boulangerie sur le chemin de la Côte-des-Neiges. Sur la terrasse de la brûlerie voisine, une dizaine de personnes assistaient à une dispute entre une dame dans la cinquantaine et un jeune homme arabe.
Un monsieur plus âgé tentait de calmer le jeune agité. Je n’avais pas assisté au déclenchement de la dispute, mais j’ai cru comprendre que la dame s’opposait au bruit excessif que faisaient les personnes assises à la table du jeune homme.
La dame, qui était seule, continuait à critiquer avec un ton toujours plus aigu. L’homme âgé a mis son bras autour des épaules du jeune et lui a dit : « Mais laisse tomber, ça ne vaut pas la peine… »
Le jeune s’est éloigné de la dame, avec un air dégoûté. Le propriétaire de l’établissement est sorti et a tenté de calmer celle-ci; elle l’a ignoré et a continué à lancer des insultes. Finalement, elle a crié : « C’est toujours comme ça avec les Arabes… »
À ce moment, la dizaine de personnes présentes a commencé à la huer. Oh là, là, ça, c’est trop, mais voyons… Comment pouvait-elle dire cela? Elle s’est tue et a quitté les lieux.
Et voilà à quoi sert l’anthropologie. Oui, on a parfois suivi de fausses pistes et présenté des conclusions farfelues; oui, certains anthropologues ont même parfois, de façon très malheureuse, appuyé des propos racistes.
Cependant, dans l’ensemble, les 150 ans de recherche sur le fait humain sont unanimes : les différences entre les diverses races humaines sont en fait superficielles.
Si elles se manifestent dans le discours populaire, elles sont arbitraires et ont été sélectionnées pour renforcer les sentiments racistes.
Les traits « ethniques » ou « nationaux » dans le comportement n’ont pas de base génétique.
Certes, les anthropologues ne sont pas isolés des courants idéologiques et des sentiments populaires qui les entourent, mais la discipline qui a comme mandat l’analyse du phénomène humain a conclu que le racisme n’avait pas de base scientifique, que l’homosexualité n’allait pas mener à la ruine de la civilisation et que le mélange, le métissage et l’hybridité n’allaient pas diluer le génie d’un peuple. Et ça fait longtemps qu’on le proclame.
Bref, l’anthropologie n’est pas responsable à elle seule du progrès moral de l’Occident, et ce n’est certainement pas son mandat d’être une conscience morale.
Cependant, elle a sans aucun doute contribué – avec des faits, pas des opinions – à la croissance d’une sensibilité qui favorise le respect de l’individu et de la différence.
Pendant des siècles, des poètes, des prophètes et des rêveurs ont tenté de nous guider vers la sagesse, mais ce sont les anthropologues ayant effectué des recherches qui ont alimenté ce mouvement.
Avant, l’abus de l’autre était normal; aujourd’hui, on voit cela comme de la barbarie. C’est du progrès…
Nouvelle façade de notre édifice situé au 3150, rue Jean-Brillant
Et je dois vous en remercier, chères diplômées et chers diplômés.
Il est facile de penser que les anthropologues s’alimentent de théories et de débats, mais ce n’est pas vrai, du moins, pas entièrement.
On se nourrit des questions des étudiantes et des étudiants et même parfois de leurs préjugés, de leurs lacunes, de leur indifférence. Sans cela, on se perdrait sur de fausses pistes et dans une pensée spéculative.
Enseigner n’est pas seulement un boulot qui nous permet de faire notre « vrai » travail, soit la recherche. C’est central à l’entreprise anthropologique.
Imaginez-vous quelqu’un dans les sciences naturelles, qui a très peu d’espoir de communiquer son travail au public. Ses idées et son langage ciblent ses pairs. Pas les anthropologues.
Nous sommes engagés dans une conversation incessante avec les gens, du début de l’enquête jusqu’à la dissémination de nos résultats.
Alors un gros merci à tout le monde qui a participé à cette aventure. Qu’est-ce qui nous attend pour les prochains 60 ans?
« 60 ans d’archéologie au Département d’anthropologie de l’Université de Montréal (UdeM) »
Par Claude Chapdelaine, professeur émérite
C’est avec grand plaisir que j’ai accepté l’invitation de mon directeur Guy Lanoue d’écrire un texte sur l’archéologie au département, tout en y insérant à l’occasion une touche personnelle. Souligner un 60e anniversaire n’est pas une tâche facile en quelques pages. Commençons par un bref bilan sur la place de l’archéologie au département, dans le but d’illustrer son évolution.
À mon arrivée au Département d’anthropologie en tant qu’étudiant de 1er cycle en septembre 1972, il y avait un professeur, Philip Smith. Une jeune archéologue, Louise Iseult Paradis, et un chargé de cours, Norman Clermont, y seront accueillis à l’automne 1973.
Aujourd’hui, il y a 7 archéologues qui assurent une ouverture sur le monde : la préhistoire du Nord-Est américain (Adrian Burke et Christian Gates St-Pierre); la période historique (Brad Loewen); l’Europe du Paléolithique (Ariane Burke); la Mésoamérique (Christina Halperin); le Paléolithique et le Néolithique en Italie (Julien Riel-Salvatore); le développement des projets associés aux richesses archéologiques de Montréal (Catherine Cook).
On y retrouve donc actuellement 4 hommes et 3 femmes, ce qui correspond à un taux nettement supérieur à celui de mon arrivée en 1988, avec 4 hommes et 1 femme. Nous pourrions ajouter Isabelle Ribot qui, comme anthropologue biologique, travaille étroitement avec les archéologues. Il est ainsi aisé de constater le chemin parcouru par cette discipline particulière au sein de notre histoire départementale.
Le Département d’anthropologie comporte toujours 4 sous-disciplines, une structure inspirée du modèle américain et adoptée lors de la création du département, en 1961. L’intégration de l’archéologie remonte ainsi à l’origine du département, et Paul Tolstoy en sera le 1er archéologue.
Durant les années de consolidation du département, entre 1966 et 1973, le départ de Paul Tolstoy pour New York est compensé par l’arrivée des professeurs Philip Smith et Jacques Bordaz. L’année 1972 marquera le départ de ce dernier et 1973, l’arrivée de Louise Paradis et de Norman Clermont.
Si l’engagement de Louise Paradis marque un renforcement de l’archéologie des grandes civilisations méso-américaines dans le but de compléter la couverture internationale offerte par le professeur Smith, celui de Norman Clermont marquera une ouverture envers l’archéologie québécoise.
Le dynamisme du professeur Clermont caractérise le 3e chapitre, celui de l’importance de l’archéologie québécoise et de la nécessité de former des Québécois à cette discipline. Ce chapitre de notre histoire mènera à mon engagement en 1988, dont l’argument principal était que l’engouement pour l’archéologie d’ici nécessitait un 2e archéologue à temps plein.
Le directeur de l’époque, Gilles Bibeau, appuya cette revendication et, à partir de 1988, le département comptait alors 5 archéologues (Paul Tolstoy était revenu au département en tant que directeur en 1976, puis comme professeur après son mandat).
Le 3e chapitre correspond à la construction d’une archéologie québécoise sous la direction de Norman Clermont, entre 1974 et 1988, et le chapitre suivant est celui de la consolidation de l’archéologie d’ici, avec ma participation de 1989 à aujourd’hui.
Je dois cependant mentionner au passage que j’ai un peu délaissé le Québec entre 1995 et 2008 avec plusieurs projets de recherche au Pérou et un autre au Costa Rica, en 2005. Cette affirmation de l’archéologie d’ici s’est poursuivie avec l’embauche d’Adrian Burke pour combler le départ de Norman Clermont, en 2001.
Un nouveau chapitre s’écrit en 2001 avec l’engagement de Brad Loewen en tant que 1er archéologue consacré à la période historique. En plus d’enseigner les bases méthodologiques, le professeur Loewen assume la direction d’une école de fouilles avec l’aide de l’archéologue professionnel Christian Bélanger. Ce 5e épisode se poursuit toujours.
Un 6e chapitre que j’intitule « le temps des renouvellements » témoigne de l’arrivée d’Ariane Burke, qui remplace Philip Smith pour assurer une couverture de l’Ancien Monde, et de Christina Halperin, dont le mandat est de maintenir bien vivantes les études méso-américaines.
Le 7e chapitre rime avec expansion et s’amorce avec l’accueil de Julien Riel-Salvatore, dont le mandat initial était de renouveler l’archéologie environnementale en faisant valoir son réseau en Italie, augmentant ainsi la couverture internationale du département.
Ce chapitre comporte un 2e volet avec l’embauche de Catherine Cook, dans le but de développer une archéologie collaborative et citoyenne.
En terminant cette très brève histoire, j’ai oublié de mentionner mon remplacement par Christian Gates St-Pierre, en 2017, en tant que spécialiste de la préhistoire du Nord-Est américain.
En réalité, je ne l’avais pas oublié, car je voulais conclure en ouvrant une parenthèse sur l’importance de l’École de fouilles préhistoriques dans l’histoire du Département d’anthropologie.
Depuis sa création en 1976 et de la 1re campagne de fouilles en 1977 à la Pointe-du-Buisson, sous la direction de Norman Clermont, jusqu’à cet été à Saint-Anicet, sous la direction de Christian Gates St-Pierre, cette école s’est déroulée 42 fois, incluant à l’été 2021.
Cet instrument pédagogique a permis la formation sur le terrain de plus de 400 étudiantes et étudiants et des recherches sur plusieurs sites parmi les plus importants du Québec : Pointe-du-Buisson (1977 à 2001), Cliche-Rancourt (2001 à 2009), Droulers (2010 à 2017) et maintenant Isings (2018 à 2021).
Trois générations d’archéologues au site Droulers, à Saint-Anicet, en juin 2019, lors du lancement de sa monographie dans la collection Paléo-Québec no 38.
Une photo vaut 1000 mots : 3 générations d’archéologues qui ont contribué au succès de l’École de fouilles préhistoriques (de gauche à droite : Pierre Corbeil, professionnel assigné à ce cours universitaire de 6 crédits, de 1989 à 2017; Claude Chapdelaine, directeur de 2002 à 2017 et professionnel de 1977 à 1988; Norman Clermont, directeur de 1977 à 2001; Christian Gates St-Pierre, directeur de 2018 à 2021, et Jean-Christophe Ouellet, professionnel de 2018 à 2021).
Jean-Christophe Ouellet a remplacé Pierre Corbeil comme responsable de laboratoire, et Norman Clermont a formé Claude Chapdelaine, qui a lui-même formé Christian Gates St-Pierre.
Cette école de fouilles préhistoriques n’est pas la seule. En effet, le professeur Adrian Burke, avec la collaboration de Geneviève Treyvaud, a dirigé des fouilles de 2014 à 2018 sur un site unique de l’île Saint-Bernard, à Châteauguay, où les couches historiques couvraient des occupations préhistoriques. Ce projet à Châteauguay avait aussi le mérite d’intégrer chaque année des membres de la nation mohawk.
Le rayonnement de l’archéologie a donc connu une croissance constante au cours des 60 ans d’existence du département. Deux groupes de recherche subventionnés par le FRQSC – Archéo science/Archéo sociale (AS2) et Dispersion des hominines (GRDH) – assurent un dynamisme aux échelles nationale et internationale.
L’archéologie a été et demeure un pilier du département. J’ai toutes les raisons de croire que ma discipline continuera à consolider notre département au Québec et ailleurs dans le monde.
Vive l’archéologie ou plutôt longue vie à l’archéologie, une discipline stimulante et exigeante!
P.-S. – Cette histoire comporte plusieurs chapitres qui vous laisseront sur votre faim, mais c’est avec plaisir que je répondrai à vos questions par courriel.
« Le Département d’anthropologie de l’UdeM ou ma famille au Canada »
Par Marie Fally, doctorante en anthropologie, chargée de cours
Lorsque Guy Lanoue m’a demandé si je pouvais écrire quelque chose pour les 60 ans du département, j’ai d’abord été flattée.
Puis, après avoir accepté dans la minute, j’ai commencé à laisser s’entrechoquer les idées, dans une folle danse cérébrale, les doigts sur le clavier qui n’arrivaient pas à suivre le rythme effréné de ce muscle que mes chers collègues étudient dans tous ses moindres recoins.
Bref, quelques lignes pour dire : la page blanche. En réalité, depuis que je suis « officiellement » membre du département (janvier 2017), je marche sur un chemin dont le départ est la case « Vous êtes un OVNI », et l’arrivée sera la case « Bravo! Vous avez planté vos racines! ».
À mon arrivée au département, je revenais d’un voyage de presque 8 ans dans le monde du travail, loin, très loin, de mes 1res amours académiques. Un jour, un potentiel employeur m’avait demandé lors d’une entrevue : « Mais vous, vous ne comptez pas retourner dans le milieu universitaire un jour? »
À cette époque, ma réponse, teintée d’un besoin de salaire inébranlable, avait été très spontanément négative.
Inconsciemment, il avait planté là une graine qui allait germer sans que je m’en aperçoive. Quatre ans plus tard, un conjoint surmotivé (et surmotivant!) et 2 tout jeunes enfants sous le bras, je rédigeais un projet de recherche doctorale, direction outre-Atlantique. Aujourd’hui, quand on me demande quelle est ma plus grande fierté, je réponds instantanément : « Avoir entrepris un doctorat avec 2 enfants en bas âge, à 6000 km de chez moi. »
Or, cette fierté ne saurait être aussi ancrée si ce n’était de ce fameux département. Si j’avais l’impression, il y a 4 ans, de quitter ma « famille en Europe », j’ai maintenant ma « famille au Canada ». Elles ont toutes les 2 les mêmes assises. Au repas des Fêtes, j’ai bien mon cousin polyglotte qui me raconte ses périples en Amérique latine. Il y a aussi ma tante qui a parcouru le monde, vécu dans les endroits les plus improbables et rencontré, de près comme de loin, des personnes de tous horizons. Elle en a même écrit des livres. C’est ma confidente inavouée.
Il y a mes 4 sœurs, mes fidèles alliées, celles qui me soutiennent contre vents et marées, et me conseillent toujours avec leur cœur. Mes cousines germaines, elles, ont toujours quelque chose à redire, mais on les apprécie tellement que, même si elles aiment bien nous dévisager de leur regard réprobateur, on leur répondra toujours avec le sourire.
On croise régulièrement nos oncles dans les couloirs (enfin, quand il n’y a pas de pandémie), et ils nous flattent constamment de leurs sourires les plus chaleureux, presque protecteurs. Les neveux et nièces arrivent chaque année, les yeux brillants, pleins d’ambitions, de choses à dire, de projets plus fous les uns que les autres pour refaire le monde. On fait comme on peut pour calmer leurs ardeurs, sans pour autant abîmer leur soif d’apprendre et d’agir, parce que ce sont eux qui prépareront le repas des Fêtes dans quelques années.
On leur tient la main, on leur apprend quels sont les sujets préférés de tel oncle, quel bouquin trône sur la table de chevet de telle grand-tante coriace, on leur explique ce qu’on peut sur les méandres de la famille, mais, surtout, on les observe se faire leur place dans cette minisociété, le cœur presque nostalgique d’y avoir fait nos 1ers pas il y a quelques années.
On remplit nos tasses dans notre café préféré (lorsque personne ne part avec!), en gardant un regard amical même si on en a marre de ne pas voir le soleil éclairer nos sombres salles de classe.
Au lieu des odeurs des plats de Mamie, émanations de café et autres potions réconfortantes chatouillent nos narines au détour de nos discussions enflammées sur la prochaine édition de notre cousinade intellectuelle, le Colloque annuel du Département d'anthropologie.
Bref, le département, ce foyer désormais soixantenaire, sait nous installer au coin de son feu scientifique et piquer nos consciences, suffisamment pour qu’on s’y sente si attachés, mais assez subtilement pour qu’on laisse nos ailes nous emmener vibrer sur des terrains ethnographiques toujours plus loin.
Ça y est, les racines commencent à prendre, elles resteront là, bien ancrées, où que l’avenir nous porte, aussi loin que soient ces horizons de savoirs. Ne nous le cachons pas, ce département n’est pas qu’une ligne sur nos CV. Il fait partie de nous. On l’aime. On le critique. On ne s’en passe pas. Il sera toujours là, près, si près.
« Le 60e anniversaire du Département d’anthropologie »
Par Éric Cardinal, chargé de cours, Faculté de droit
J’ai toujours aimé l’anthropologie, avant même de savoir ce que c’était. On peut même dire que c’est une « disposition anthropologique » qui m’a amené au baccalauréat en science politique, puis à la maîtrise en droit, afin d’y mener des études supérieures motivées par un désir de comprendre la « question autochtone » au Canada.
C’est en effet la crise d’Oka de 1990 – ou plutôt les questions que soulevait cette crise causée par un grief sur l’utilisation d’un territoire ancestral mohawk – qui a fortement influencé mon choix d’études universitaires.
Bien qu’étudiant en science politique et en droit, c’est un professeur du Département d’anthropologie de l’UdeM, Rémi Savard, qui m’a le plus marqué. Son influence sur mon orientation de carrière est indéniable. C’est lui qui m’a le 1er convaincu d’effectuer une recherche « terrain » en territoire innu (le Nitaskinan).
Depuis, mon affection pour ce peuple, son histoire et ses enjeux ne se tarit pas. Cette affection est allée aussi loin que de donner des noms innus à mes enfants : Mitesh (perle) et Nanipau (qui se tient debout).
Au fil des ans, mon intérêt pour les peuples autochtones et mon désir d’en comprendre les enjeux m’ont amené sur divers chemins : au cabinet du ministre des Affaires autochtones, à la coordination d’un projet de recherche sur la gouvernance autochtone, à la fondation de mon entreprise de relations publiques pour les organisations autochtones, à l’enseignement collégial et universitaire, et j’en passe.
Plusieurs routes, mais toujours une vision, que m’a transmise Rémi Savard : convertir mon indignation quant à la situation des Premières Nations au Canada en carburant pour une implication socialement utile; la connaissance pour changer les choses.
J’ai choisi cette mission en empruntant divers chemins, mais en conservant toujours un pied dans l’univers scolaire. L’enseignement demeure certainement l’un des meilleurs moyens de faire une différence.
Et comme les questions touchant les Autochtones restent méconnues, bien que la situation s’améliore, chaque cours donné fait œuvre utile.
J’adore l’enseignement, particulièrement universitaire. Depuis environ 20 ans, j’ai le bonheur d’enseigner le droit autochtone. Longtemps, ce fut dans d’autres universités que mon alma mater. Puis, il y a 2 ans, j’ai eu la chance de revenir à l’UdeM. Et c’est grâce au Département d’anthropologie que je peux continuer à transmettre ma passion pour les enjeux touchant les Autochtones au Canada.
Quand je regarde mon chemin parcouru depuis, autant professionnellement que personnellement, je dois dire un gros merci à Rémi Savard et au Département d’anthropologie.
La société québécoise a entrepris au cours des dernières années une grande réflexion quant aux enjeux de racisme et de discrimination, de relations avec les Nations autochtones et d’intégration de nouvelles perspectives en matière d’intégration. Dans cette perspective, en tant qu’établissement qui forme l’intelligentsia de demain et contribue à la circulation des idées, l’UdeM assume pleinement son rôle en soutenant les formations précises aux enjeux autochtones.
Le Département d’anthropologie de l’UdeM permet d’entretenir l’espoir qui inspire et donne le courage à d’autres établissements d’enseignement d’emboîter le pas. Une fois qu’on défriche un sentier, il est plus facile pour les autres de le suivre.
Selon le principe des 7 générations qui guide les leaders de certaines Nations autochtones, il est important d’évaluer les répercussions des décisions et les actions prises aujourd’hui sur les 7 générations à venir. En insufflant aux étudiantes et étudiants, qu’ils soient autochtones ou allochtones, les connaissances et le savoir, le Département d’anthropologie a une influence plus que positive sur les générations présentes et futures.
Voilà que le Département d’anthropologie souffle ses 60 bougies. Cet âge, bien que vénérable, représente un clignement de cil dans l’histoire riche et abondante des Autochtones qui se retrouvent sur le territoire depuis des millénaires. Il n’en demeure pas moins que cet anniversaire mérite d’être souligné avec fierté et retentissement.
Enseignantes, enseignants, employées, employés, étudiantes et étudiants, nous pouvons être fiers du Département d’anthropologie de l’UdeM qui reste un établissement phare de notre société. Longue vie au Département d’anthropologie!
L’énigme de la murale de 1979
Jean-Marc Elie, un de nos diplômés, nous a raconté une anecdote qui s’est déroulée à la session d’automne-hiver 1979, alors qu’il était encore un étudiant au baccalauréat. En voici les détails racontés par lui-même :
« L’association étudiante du département me demanda de dessiner une murale sur le mur contigu du local étudiant avec le corridor. Un petit budget fut voté. J’achetai la peinture bleu poudre au latex et une petite chopine de peinture noire à l’huile. Je reproduisis un dessin à l’échelle aux courbes et lignes minimalistes (dont je garde le sujet secret). Le mural fut visible pendant environ 2 ans. »
Deux ans plus tard, toujours selon M. Elie, la murale était couverte « d’une couche de peinture beige »; une décision votée par l’association étudiante à l’époque.
Comme M. Elie veut garder le sujet secret, et comme un projet en archéologie publique serait difficile à réaliser pour voir cette partie de l’histoire du département, nous sollicitons votre coopération : si vous connaissez cette murale ou avez des photos ou un simple souvenir à nous partager pour résoudre cette énigme picturale, manifestez-nous!
Indice sur la murale : il y avait une partie du dessin à l’érotisme naïf dont l’une des principales caractéristiques plastiques consistait en un style pictural figuratif. Autre indice : les astronautes canadiens seraient éberlués qu’un étudiant en anthropologie ait reproduit ce dessin!
13 questions pour nos humains
Camille Thomas, doctorante :
1. Comment est né ton intérêt pour l’anthropologie?
J’ai passé plus de 10 ans de ma vie, de l’enfance à la fin de l’adolescence, à suivre mes parents à l’étranger pour le travail de mon père. Du coup, nous avons habité dans différents pays à travers le monde et toujours vécu aux côtés des populations locales sans vraiment côtoyer la communauté française (ou européenne) présente.
Avec du recul, je me suis rendu compte que ça vient de mon père et de sa grande curiosité (maladive haha!) pour l’Autre. Finalement, nos amis nous invitaient dans divers événements, rituels très importants ou plus légers. Le 1er que j’aurai constamment en tête, c’est mon premier Aïd en Algérie.
C’était l’événement de l’année, et nous avons été présents pour tout : dès le tranchage de gorge du mouton jusqu’à ce qu’il finisse dans notre assiette la journée même, en passant par l’échange de cadeaux et le don des restes de nourriture aux plus nécessiteux. C’était extraordinaire de pouvoir vivre cela, mais en toute sincérité, je ne peux plus du tout manger de mouton à vie haha!
L’odeur de la viande me rappelle toute cette journée encore aujourd’hui, le tranchage de gorge, le dépeçage, le séchage devant la climatisation dans le salon et la découpe… tout! Ce fut mon repas le plus difficile à manger, mais quel souvenir et quel apprentissage!
2. Quels sont tes films ou émissions préférés?
Depuis très jeune, Billy Elliot est assurément mon film préféré. J’adore la série Friends, j’ai dû la regarder 1 million de fois, dont la majorité depuis la pandémie pour avoir l’impression d’avoir des amis auprès de moi pendant le confinement haha! Sinon, j’aime tout autant Casa de Papel que Stranger Things, ou encore Sex Education et Schitt’s Creek pour l’humanité et la force des messages que ces émissions véhiculent.
3. Quand tu avais 6 ans, que rêvais-tu de faire?
Je ne pense pas que j’avais de rêve particulier à part vouloir embêter mon petit frère, jouer dehors, faire tourner en bourrique mes grands-parents et aller chercher des bonbons à la boulangerie du village avec mon frère et mes cousins et cousines.
4. Quels sont tes mets préférés?
Je mange de tout, mais je dois avoir des racines italiennes parce que je reviens toujours aux pâtes ou aux pizzas!
5. Quel est ton défi pour le futur?
Participer à un concours d’agilité avec mon chien, surtout si lui et moi arrivons à être suffisamment sérieux.
6. Préfères-tu les chats ou les chiens?
Assurément les chiens; j’ai un peu peur des chats, je dois l’avouer. Je les trouve cutes, mais loin de moi haha!
7. Si tu n’étais pas anthropologue, quel métier exercerais-tu?
J’aurais aimé être coiffeuse.
8. Quels sont tes livres préférés?
Deux genres complètement différents, mais de très beaux livres :
- Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran, d’Eric-Emmanuel Schmitt
- La vérité sur l’affaire Harry Quebert, de Joël Dicker
9. Préfères-tu la solitude ou être en société?
Je dirais les deux, pour m’équilibrer. Même si je suis quelqu’un d’extraverti, j’aime aussi ma tranquillité.
10. Nomme une situation où l’anthropologie t’a servi dans la vie.
Lors du 1er confinement; on a appris en faisant du terrain que rien n’est jamais linéaire ni comme on l’avait prévu.
11. Es-tu matinale ou noctambule?
Alors assurément du matin. En plus, je n’ai jamais besoin de réveil parce que je me réveille automatiquement avant lui.
12. Nomme une chose que tu aimes du département.
Je dirais que l’avantage du café au sein du département c’est qu’il draine plein de monde, d’anthropologie et d’ailleurs, et qu’on a toujours l’occasion de rencontrer de nouvelles personnes, mais aussi de tomber sur des amis/collègues qu’on n’a pas vus depuis longtemps.
13. Nomme une chose que tu hais du département.
Trop de coins de couloir, on ne sait jamais sur qui on va se cogner haha!
13 questions à nos humains
Kevin Tuite, professeur d’ethnolinguistique :
1. Comment est né ton intérêt pour l’anthropologie?
Je n’avais jamais étudié l’anthropologie formellement. J’ai fait mon baccalauréat en chimie et mon doctorat en linguistique. C’est pendant mon séjour de 15 mois sur le terrain en Géorgie (qui à l’époque faisait toujours partie de l’URSS) que j’ai commencé de faire de l’anthropologie sans le savoir!
2. Quels sont tes films ou émissions préférés?
Je ne suis pas de tout un grand amateur de télévision ni de production hollywoodienne, mais je suis très impressionné par l’industrie du cinéma soviétique (surtout le cinéma géorgien), qui a réalisé d’excellents films avec des moyens très limités, malgré la censure des autorités soviétiques.
3. Quand tu avais 6 ans, que rêvais-tu de faire?
À cet âge, je voulais devenir électricien.
4. Quels sont tes mets préférés?
J’étais très chanceux sur le terrain, parce que la plupart des Géorgiens aiment manger (et boire) les mêmes choses que moi : c’est un régime riche en pain, fromage, viande et vin. Et pendant la saison du carême (7 semaines avant Pâques), plusieurs Géorgiens adoptent un régime végétalien (pas de viande ni de produits laitiers) que je trouve délicieux.
5. Quel est ton défi pour le futur?
Depuis le confinement, je prends des leçons de basson en ligne. J’aimerais un jour pouvoir jouer les concertos de Vivaldi avec cet instrument. Il y a 3 ou 4 ans, Ariane Burke (flûte), Luke Fleming (piano) et moi avons formé un trio d’« anthromusiciens » et dès que les circonstances le permettront, nous allons reprendre nos séances de musique de chambre.
6. Préfères-tu les chats ou les chiens?
J’aime les 2, mais actuellement nous avons un chat.
7. Si tu n’étais pas anthropologue, quel métier exercerais-tu?
Électricien, peut-être.
8. Quels sont tes livres préférés?
Je préfère m’abonner à des revues intéressantes (Actualités, Times Literary Supplement) et à des journaux (Le Devoir, The New York Times, parmi d’autres).
9. Préfères-tu la solitude ou être en société?
Ça dépend de la société…
10. Nomme une situation où l’anthropologie t’a servi dans la vie.
Je donne un séminaire sur la communication non verbale, et quand les mesures de confinement ont été imposées en 2020, plusieurs concepts que j’avais appris – et que j’enseigne à mes étudiantes et étudiants – se sont avérés particulièrement pertinents : la distance interpersonnelle, les expressions faciales (pas facile à décoder quand on porte un masque), etc.
11. Es-tu plus matinal ou noctambule?
D’habitude, ma journée commence à 6 h le matin et se termine à 10 h le soir.
12. Nomme une chose que tu aimes du département.
Le café étudiant!
13. Nomme une chose que tu hais du département.
Les périodes de congé, quand le café étudiant est fermé.
13 questions pour nos humains
Isabelle Ribot, professeure de bioanthropologie :
1. Comment est né ton intérêt pour l’anthropologie?
J’ai commencé à m’intéresser à l’anthropologie par l’entremise de la paléoanthropologie et de l’archéologie vers mes 7 ou 8 ans. Comme j’aimais dessiner, je faisais des bandes dessinées sur le sujet. Ma bibliothèque était remplie de revues archéologiques, et je rêvais d’aller faire des fouilles.
C’est ce que j’ai beaucoup fait lors de mes études en archéologie, en France. Par la suite, à la maîtrise, j’ai senti qu’il fallait que je rajoute l’aspect bioanthropologique (j’avais envie d’intégrer les sciences biologiques, d’apprendre l’anatomie). Ainsi, j’ai continué dans cette voie, et mon expérience universitaire chez les Anglais m’a beaucoup enrichie : j’y ai découvert d’autres facettes de la bioanthropologie, intégrée dans un contexte plus large, plus multidisciplinaire que dans mon pays d’origine, où les domaines étaient encore assez compartimentés.
La découverte de l’anthropologie avec ses 4 sous-disciplines, c’est sûrement à Montréal que j’y ai pris goût encore plus, lors de mon embauche en 2003. Avant, j’avais pris goût à l’anthropologie, mais probablement pas de manière complète. En 1994, j’avais visité le Département d’anthropologie, car cela me fascinait de voir toutes les disciplines réunies en un couloir ou 2. Je n’aurais jamais cru que j’y serais engagée en 2006. Depuis, mon intérêt pour l’anthropologie s’est diversifié sans faiblir grâce à mes collègues, et cela continue…
2. Quels sont tes films ou émissions préférés?
Comme la liste serait trop longue, voici un seul film qui m’a le plus marquée : Dersou Ouzala. Je l’ai vu au moins 4 ou 5 fois, malgré sa longueur. C’est l’histoire d’une très longue amitié entre Dersou, un chasseur sibérien, et Kapitan Arseniev, un topographe russe. Cela se passe dans l’immense taïga russe, au début du 20e siècle. C’est un peu la rencontre entre 2 mondes qui est fascinante… « Kapita… Dersou… » : les 2 voix résonnaient dans la Taïga!
3. Quand tu avais 6 ans, que rêvais-tu de faire?
Je pense que j’y ai déjà un peu répondu dans la 1re question, mais j’avais en tête d’autres options que l’archéologie et la paléoanthropologie, même si cela a prédominé par la suite. J’hésitais en fait avec le métier de créatrice de bandes dessinées et même quelque chose de plus sportif, dont le ski alpin que j’adorais (la compétition ou l’enseignement). Mais comme j’avais peur que ce ne soit pas assez diversifié comme métier, j’ai opté pour la bioarchéologie qui combine le plus tout ce que j’aime (le passé, les terrains, les laboratoires, les voyages, l’enseignement, etc.).
4. Quels sont tes mets préférés?
Ce que j’adore manger, c’est le poisson grillé à l’extérieur, mais malheureusement, ce n’est pas souvent, sauf en camping de temps en temps. Je me rabats alors sur un bon fish & chips qui me rappelle mes années anglaises. Étant née en Italie, je suis aussi une grande fan de pâtes à toutes les sauces (et cela convient à la famille), et même avec des moules. Les fruits de mer, j’adore, surtout les oursins fraîchement pêchés, mais bon, c’est très rare d’en manger, et la famille n’aime pas cela aussi!
Ah, j’oubliais les galettes au blé noir, des crêpes toutes simples au beurre (avec une bolée de cidre quand même), comme ma mère (Bretonne) m’a enseigné à les faire. J’arrête ici, car la liste de mes gourmandises est interminable, mais j’aime les gâteaux au chocolat noir… J’arrête, pardon!
5. Quel est ton défi pour le futur?
C’est certainement d’arriver à un équilibre entre profession et famille, ce que je suis toujours en train d’améliorer, et d’être plus écoresponsable dans mes actions et gestes quotidiens (j’ai encore beaucoup de changements à faire). L’autre défi majeur, c’est de continuer à rester positive, de donner de l’espoir aux jeunes (et à mes enfants!) pour les professions en anthropologie et 1000 autres, de réaliser certains rêves (ex. : école de bioarchéologie au Québec ou ailleurs, voyages en famille) et aussi de me perfectionner dans mon emploi.
6. Préfères-tu les chats ou les chiens?
Je suis certainement plus chats. Voici le mien en photo, Gripy, qui participe activement à mes rencontres Zoom, entre 2 siestes. Mais j’aime les chiens, et j’ai d’ailleurs aimé les promener en Grande-Bretagne quand j’étais étudiante (pour avoir des réductions de loyer!).
7. Si tu n’étais pas anthropologue, quel métier exercerais-tu?
J’aimerais certainement me retrouver dans les arts (musique ou arts plastiques), en astrophysique ou comme guide de randonnée. J’aurais encore du mal à choisir, car il y a beaucoup de choses qui me plaisent. Deux métiers à mi-temps très différents, mais complémentaires, ce serait l’idéal pour une seconde vie.
8. Quels sont tes livres préférés?
Il y en a beaucoup – je parle ici de livres qui n’ont rien à voir avec mon travail –, alors en ce moment, je pourrais dire que je me passionne pour les biographies, les expériences vécues ou les voyages.
L’histoire de Barack Obama me procure actuellement un vent d’optimisme très agréable, et cela est très instructif sur les défis gigantesques d’un emploi pas comme les autres…
9. Préfères-tu la solitude ou être en société?
Les 2 sont importants pour moi!
10. Nomme une situation où l’anthropologie t’a servi dans la vie.
Je n’ai pas de situation particulière à décrire, plus du général. L’anthropologie enseigne la patience, en quelque sorte, tous les sens (observation, analyse, critique) et aussi un certain détachement, une philosophie par rapport à certaines situations qui pourraient nous affecter…
On essaie de comprendre, d’expliquer, etc., et cela incite aussi à prendre les choses au sérieux, mais sans dramatiser non plus, voire avec une pointe d’humour (et cela peut nous sauver/nous servir dans notre vie). Mais bon, là, c’est peut-être ma façon de voir.
11. Es-tu plus matinale ou noctambule?
Matinale en général, mais j’aime quand même les longues soirées estivales ou autres de temps en temps.
12. Nomme une chose que tu aimes du département.
Les sons joyeux dans les couloirs (rires de mes collègues, étudiantes et étudiants), car je suis plus auditive que visuelle. Cela me stimule dans mon travail, même quand je suis enfermée dans mon bureau.
13. Nomme une chose que tu hais du département.
Ne pas pouvoir ouvrir les fenêtres et les poubelles qui débordent. Mon nez et mes yeux n’aiment pas cela.